En conséquence, l’article 1384 al. 1 C. civ. a pu être utilisé
pour répondre à cette question. Saleilles et Josserand on en effet
considéré que cet article pouvait en l’occurrence être utilisé car
il énonce qu’ « on est responsable non seulement du dommage que
l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé
par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que
l’on a sous sa garde ». Ainsi, les accidents du travail provoqués
par une machine pouvaient engager la responsabilité de l’employeur,
lui-même étant le propriétaire des machines. Un dommage causé par
une chose dont une personne a la garde entraine donc l’engagement
de la responsabilité de cette personne.
La responsabilité du fait des choses suppose la réunion de trois
éléments. Une chose doit exister ; la garde de la chose doit
revenir à une personne ; enfin, le dommage doit être le fait d’une
chose.
Une chose
La chose qui a provoqué la faute peut être de toute nature ;
tout objet pourra donc en principe entrer dans les termes de
l’article 1384 al. 1 C. civ. Ce qui compte, c’est le titulaire de
la garde de cette chose, non la chose elle-même. Peu importe donc
que la chose contienne ou non un vice, qu’elle ait un défaut, etc.
Aussi, peu importe que la chose ait été actionnée de la main de
l’homme (selon la jurisprudence Jand'heur), qu’elle ait été inerte
ou en mouvement, qu’elle soit mobilière ou immobilière. Les
caractéristiques de la chose n’ont donc aucun effet sur la
responsabilité de celui qui en a la garde.
En revanche, tout n’est pas une chose. Ainsi, le corps humain
n’est pas considéré comme une chose (à l’exception du corps à
l’état de cadavre). Malgré cela, les atteintes au corps (provoquée
par une collision de skieurs par exemple), peuvent faire l’objet
d’une indemnisation, en vertu de l’article 1384 al. 1 du Code
civil. De même, les animaux relèvent de textes spéciaux. Aussi, les
choses sans maitre ou abandonnées, les res nullius ou res
derelictae, ne se voient pas appliquer par l’article 1384 al. 1 C.
civ. ; ainsi, la pluie par exemple n’entraine pas d’engagement de
responsabilité.
Le fait de la chose
Après avoir démontré l’existence de la chose, il convient de
vérifier que la chose ait bien été à l’origine du dommage.
La chose doit donc avoir provoqué de façon matérielle le dommage
; un lien matériel doit donc être constaté, sans toutefois que cela
n’implique nécessairement un contact. En revanche, il faut que la
chose ait contribué activement à la réalisation du dommage. Cela
entraine des difficultés dans le cadre des choses inertes : il faut
en effet prouver que la chose inerte a joué un rôle actif dans la
survenance du dommage (il faut en ce sens montrer que le dommage
est survenu dans le cadre d’une situation anormale. La charge de la
preuve varie donc selon la chose ; si la chose était en mouvement,
ou dangereuse, il suffit de prouver l’intervention matérielle de la
chose. Dans le cas contraire, si la chose est inerte, il est
difficile de dire si le préjudice vient de cette chose, ou de
l’inadvertance de la victime ; dans ce cas, celle-ci devra
démontrer que la chose avait une disposition anormale au moment des
faits.
La garde de la chose
Une chose qui n’a pas de gardien ne se voit pas appliquer
l’article 1384 al. 1 C. civ. L’article ne s’applique qu’aux choses
ayant un gardien, cela étant une condition essentielle car elle
permet d’identifier le responsable.
Dans certains cas, la garde peut être difficile à établir. C’est
ce que montre l’arrêt Frank : un voleur au volant d’une voiture
qu’il vient de voler écrase un piéton. Qui est alors considéré
gardien de la voiture ? Le voleur ou le propriétaire ? Le
propriétaire n’ayant pas volontairement accordé la garde de la
voiture au voleur, la Cour de cassation tranche en faveur du voleur
comme gardien de la chose. Elle considère ainsi que la garde
appartient à celui qui dispose de « l’usage, la direction et le
contrôle » de la chose. Ainsi, elle considère que le propriétaire,
« privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture,
n’en avait plus la garde ». La garde n’implique donc pas que le
gardien de la chose en dispose depuis longtemps.
Il suffit donc qu’il existe, durant un temps plus ou moins long,
détention de la chose par une personne. La personne elle-même
n’importe pas ; peu importe en effet que le gardien soit atteint de
troubles mentaux. Par conséquent, un locataire devient
provisoirement gardien, même si le propriétaire est le gardien
présumé. Ce dernier transfère de manière volontaire sa garde ; le
transfert volontaire ne doit pas être confondu avec le seul usage
de la chose. Comme l’établit l’arrêt Frank, le transfert de la
garde peut aussi être involontaire, et dans ce cas, seule la
détention de la chose est prise en compte.
La garde ne peut être cumulative, c'est-à-dire qu’un seul
gardien peut être considéré responsable ; la garde est donc
alternative. En revanche, dans certains cas, la garde peut être un
acte cumulatif lorsque deux personnes ont disposé des mêmes
pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur la même chose au
même moment. Ces personnes sont alors exceptionnellement
considérées comme co-gardiennes. Une même chose pourra donc se
trouver sous la garde de plusieurs personnes, on parle alors de
responsabilité in solidum.
Il importe en revanche que le gardien dispose réellement de la
chose. Une simple surveillance de la chose ne suffit pas ; le
gardien doit en effet disposer d’une réelle autorité sur
celle-ci.
Enfin, la survenue d’un élément perturbateur (comme un mauvais
stationnement) n’est plus exigé pour engager la responsabilité de
son gardien.