Le préjudice présente en effet des caractéristiques
particulières et peut revêtir différentes formes.
Les caractères du préjudice
Certaines conditions doivent être remplies pour que le préjudice
puisse faire l’objet d’une indemnisation :
Un préjudice certain
Le préjudice doit être certain, c'est-à-dire non éventuel ou
hypothétique. Néanmoins, il peut être actuel comme il peut être
futur (il faut néanmoins que sa réalisation future soit certaine et
non imaginaire).
Le préjudice peut consister en une perte de chance. Pour qu'elle
soit réparée, elle doit être sérieuse ; par exemple, la chance
sérieuse de réussite à un concours ouvre droit à réparation (il
convient à la victime d’apporter la preuve de ses chances).
Lorsqu’il s’agit d’une perte de chance résultant d’un défaut
d’information sur les risques d’une opération hospitalière, il
revient à l’hôpital d’en établir les preuves.
Le préjudice doit consister en une atteinte à un intérêt
légitime. On a longtemps considéré que l'intérêt était légitime
seulement pour la victime directe du dommage (CE, 1928, Dlle
Rucheton) ; mais la jurisprudence a admis l'existence d'un
intérêt légitime pour les victimes par ricochet (personnes en lien
avec la victime, touchées elles-mêmes par le préjudice). Les
victimes par ricochet ne sont plus seulement les parents de la
victime directe du préjudice, mais des personnes proches ; ainsi le
Conseil d’Etat a admis l'existence d'un préjudice subi par une
concubine du fait du décès de son concubin (CE Sect., 1978,
Dame Muësser).
Le juge administratif reconnait désormais le caractère direct
des préjudices causés à une personne dont les héritiers reprennent
l’instance contre une sanction disciplinaire (CE, 2007,
M.C.).
Le préjudice peut également être matériel, ou moral. Pendant
longtemps, le juge n'admettait que la réparation des préjudices
physiques, considérant que « les larmes ne se monnayent pas » (CE,
Ass., 1954, Bondurand) ; ainsi par exemple de
l’indemnisation d’un patient plongé dans un état végétatif (CE,
2004, M. Francis M.). Il accorde aujourd’hui la réparation
des préjudices moraux, depuis l'arrêt Létisserand de 1961
; l'indemnisation est fonction de l’importance des « troubles dans
les conditions d’existence » (CE, 1965, Peyre), des «
atteintes à la partie sociale du patrimoine moral » (conclusion du
commissaire du gouvernent Fougère dans ses conclusions sur l’arrêt
Bondurand).
Mais les préjudices ouvrant droit à réparation sont variés
puisqu’est notamment admis celle du préjudice esthétique,
(difficultés rencontrée au quotidien, obligeant parfois la victime
à modifier ses conditions de vie), de l’atteinte à l’honneur ou à
la réputation (CE, 1948, Epoux Brusteau). Le juge va
aujourd'hui jusqu'à réparer les préjudices écologiques (loi du 1er
aout 2008 relative à la responsabilité environnementale).
Un préjudice direct
Le fait qui a causé le préjudice doit en être la cause directe.
Un lien doit donc être établi entre le fait générateur du préjudice
et le dommage. Ce lien est apprécié par le juge qui pourra avoir
recours à une expertise. Il est parfois difficile à déterminer dans
la mesure où plusieurs faits peuvent concourir à causer le
préjudice, ce qui complique la mise en œuvre de la responsabilité.
Dans ce cas, c’est le préjudice ayant particulièrement contribué à
la survenance du dommage qui est pris en compte (la cause la plus
décisive).
Un dommage imputable et évaluable en argent
Afin d’indemniser la victime, il est nécessaire que le préjudice
qu’elle a subi puisse faire l’objet d’une évaluation. Dans certains
cas, il l'évaluation est difficile en raison du type de préjudice
qui est en cause ; c’est essentiellement le problème posé par le
préjudice moral, et même physique.
Dans certains cas, la victime ne peut obtenir réparation de son
préjudice. C'est le cas lorsqu’elle s’est exposée en toute
conscience à un risque dont résulte le dommage. Ainsi par exemple
lorsque la personne se trouve dans une situation irrégulière (si
elle n’a pas respecté certaines consignes de sécurité),
conformément à l'adage selon lequel "nul ne peut se prévaloir de sa
propre turpitude". Cela a par exemple été le cas lors d’une
atteinte portée à une occupation illégale de terrain public (CE,
1980, Commune d’Ax-les-Thermes).
Lorsque l’étendue du préjudice n’est connue que postérieurement
au jugement du premier ressort, le montant de la demande en
réparation peut être réévalué (CE, 1998, Département de
l’Isère). Cela a remis en cause la jurisprudence selon
laquelle il est impossible de demander en appel un taux
d’indemnisation supérieur à celui présenté en premier ressort (CE
Sect. ; 1931, Ville de Maintenon). De même, le requérant peut
introduire une requête indemnitaire non chiffrée en raison de
l’attente des résultats d’une expertise (CE, Sect. ; 2006, Mme
Bisson).