Fondement de la responsabilité sans faute
Elle doit reposer sur deux éléments :
Création d’un risque anormal
Il peut s’agir de dommages causés en raison d’attroupements
(manifestations qui entrainent des dommages réparables par
l’administration alors même qu’elle n’a commis aucune faute), de
dommages causés à des bénévoles…
On considère ainsi plusieurs cas dans lesquels il existe des
risques particuliers, que les personnes peuvent subir :
- Dommages imputables à un risque du voisinage : les personnes
publiques sont en effet responsables des « risques excédant les
limites de ceux qui résultent normalement du voisinage ». Cette
solution a été consacrée par l’arrêt du Conseil d’Etat de 1919,
Regnault Desroziers, relatif à l’explosion d’un dépôt de
munitions. Il convient de noter que la notion de voisinage est
étendue à tous les tiers. Aussi, les risques du voisinage
comprennent également les dommages causés par les malades mentaux,
ou encore par les détenus placés sous surveillance contrôlée. Mais
cela s’applique également dans le cadre d’ouvrages ou
d’installations exceptionnellement dangereuses ; le juge
administratif retient rarement ce type de responsabilité afin de
limiter les extensions trop importantes. Pour cela, la
qualification de l’ouvrage exceptionnellement dangereux est
stricte.
- Dommages subis par les collaborateurs bénévoles (particuliers
apportant volontairement et gratuitement leur aide à une mission
administrative) : lorsqu’un dommage est causé,il n'est pas besoin
de rechercher une faute de l’administration pour que la
responsabilité de cette dernière soit engagée. Les collaborateurs
occasionnels de l’administration peuvent donc demander réparation
des dommages subis dans le cadre de leur mission. C’est ce qu’a
reconnu le Conseil d’Etat dans son arrêt de 1946, Commune de
Saint-Priest-la Plaine (dans le cadre en l’espèce de l’aide
donnée pour un feu d’artifice).
- Dommages causés au tiers par les armes à feu de la police : un
tiers victime d’un tir peut demander réparation à l’administration,
même sans faute de l’agent de police. Cela est justifié par
l’utilisation d’armes, qui fait courir un risque important aux
tiers. Cette solution bénéficie seulement aux tiers (et non aux
personnes visées par la police) ; c’est ce qu’il ressort de l’arrêt
Daramy du Conseil d’Etat, de 1949.
- Dommages d’une extrême dangerosité provoqués par un acte
médical : lorsqu’il existe un dommage d’une particulière gravité,
la responsabilité de l’administration est engagée sans faute. Il
est donc nécessaire d’une part que l’acte médical soit à l’origine
du dommage, d’autre part que le dommage soit d’une extrême gravité
(CE, 1991, Bianchi). Le juge peut prendre en compte
l’évolution prévisible de l’état du patient (qui nécessitera un
fauteuil roulant par exemple) afin de fixer l'indemnisation.
Rupture de l’égalité devant les charges publiques
L’anormalité d'une situation peut entrainer des charges plus
importantes pour certaines personnes, et ainsi ouvrir droit à
réparation en dehors de toute faute de l’administration. Certaines
lois, ou encore certaines conventions internationales peuvent en
effet engendrer une rupture de l’égalité devant les charges
publiques. En ce sens, l’administration peut être amenée à
indemniser la victime de cette rupture d'égalité.
Ce type de responsabilité sans faute est appliqué dans un
certain nombre de cas :
- Dommages causés par le refus d’employer des mesures d’ordre
public pour faire exécuter un jugement. C’est ce qu’il ressort de
l’arrêt Couitéas de 1923 du Conseil d’Etat. Le préfet peut
par exemple refuser de faire exécuter une décision d’expulsion de
locataires alors même que celle-ci a bien été décidée.
- Dommages causés du fait de la loi : consacré par l’arrêt La
Fleurette du Conseil d’Etat en 1938. Cet arrêt établi qu’il
incombe à l’administration de supporter la « charge crée dans un
intérêt général ». L’administration a donc l’obligation de réparer
le préjudice, sauf si elle a elle-même exclu la réparation. Cette
responsabilité est néanmoins rarement admise car le préjudice
atteint généralement un grand nombre de personne, ce qui retire au
préjudice son caractère de spécificité nécessaire à la demande de
réparation.
- Dommages causés du fait des conventions internationales : comme
la loi, la convention internationale est incontestable. Si en
revanche cette convention cause un préjudice à quelques personnes,
ces dernières peuvent obtenir réparation de l’administration (CE,
1966, Compagnie générale d’énergie électrique). De même
que la loi, la convention ne doit pas avoir exclu le droit à
réparation pour que celui-ci s’exerce.
- Dommages causés par une décision ou une opération
administrative : même si l’administration a mis en place des
opérations régulières, et donc non fautive, elles peuvent avoir à
réparer un préjudice. Cette solution (CE, 1963, Commune de
Gavarni) s’applique plus généralement aux dommages de travaux
publics.
Spécialité et anormalité du préjudice
Pour faire l’objet de réparation, le préjudice doit reposer sur
deux caractéristiques essentielles : la spécialité et l’anormalité
de celui-ci. Ces deux critères sont exigés par le juge ; pour cette
raison, les dommages causés du fait de la loi ou des conventions
internationales sont rarement retenus (car ces textes s’adressent à
un nombre trop grand d’individus).
Spécialité
Le préjudice causé doit porter sur un nombre très faible
d’individu (une seule personne ou un petit nombre) ; à l’inverse,
on ne pourra considérer qu’il y a bien une rupture d’égalité devant
les charges publiques. En effet, si le préjudice est général, il
n’y a pas de rupture de l’égalité des charges, ce qui retire au
préjudice un fondement essentiel au droit à réparation.
Anormalité
Le préjudice doit être d’une particulière gravité pour pouvoir
être indemnisé. En effet, les troubles légers supportés par chacun
ne peuvent faire l’objet d’une demande de réparation.