Médias sous influence

concentration des médias

Dès la fin du 19e siècle, la presse est critiquée pour sa soumission aux “puissances d’argent” et sa vénalité, notamment en raison des affaires de corruption et du contrôle de capitaux de nombreuses entreprises de presse par les industriels et financiers1.

“Depuis 1957, le PDG de l’AFP est désigné par un conseil d’administration où siègent trois représentants de l’Etat”2.

Comme tous les marchés, la presse se concentre entre les mains de quelques uns, dans un mouvement qui s’est accéléré à partir de 2010.

Ainsi, en France, 10 milliardaires possèdent quasiment toute la presse: Bouygues, Xavier Niel, Dassault, Bernard Arnault, Bolloré, Pierre Bergé, Patrick Drahi, François Pinault, Matthieu Pigasse et Lagardère.

De même, la majorité des titres de presse régionale et magazine appartient à deux fabricants d’armes : Lagardère (via Hachette) et Dassault (via la Socpresse)3.

Il n’y a donc plus en France « d’indé­pendants », à l’exception du groupe NRJ, ou encore des titres comme Mediapart et Le Canard enchaîné4.

Les grands groupes achètent de plus en plus de médias français pour différentes raisons. Pour certains, l’objectif est d’utiliser le média pour arranger ses propres affaires ; c’est le cas de Serge Dassault et du Figaro. D’autres achètent un journal pour se faire une bonne image, sans pour autant intervenir dans le contenu éditorial5.

Et ce sont principalement les grands groupes qui bénéficient des crédits publics à la presse. En effet, dans le cas des aides directes, les milliardaires profitent des aides les plus colossales (chiffres 2014) : “Le Figaro” (groupe de Serge Dassault) a bénéficié de 15,2 millions d’euros, tandis qu’ “Aujourd’hui en France” (Bernard Arnault), obtenait 14 millions et “Le Monde” (Niel, Pigasse et Bergé), 13,1 millions6.

Ils bénéficient également de l’attribution gratuite des fréquences audiovisuelles par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, avant d’avoir la possibilité de revendre ces chaînes. Ainsi, la chaîne Numéro 23 avait été revendue par Pascal Houzelot 88,5 millions d’euros à NextRadioTV7.

Rester un contre-pouvoir

Dans l’immédiat après-guerre, la presse se faisait défenseur de la liberté d’opinion, la profession de journaliste était considérée comme un combat politique. De nombreux médias se donnaient ainsi pour objectif de lutter contre des idées, des idéologies.

Cependant, la concentration croissante des médias a fait courir le risque d’avoir des impacts sur l’information.

A cela s’ajoute le fait que les grandes informations proviennent pour beaucoup des quatres agences mondiales de presse généraliste: Reuters, AssociatedPress, Chine Nouvelle et AFP.

En effet, à son arrivé à Canal + en 2015, Vincent Bolloré avait censuré des documentaires et déprogrammé certaines émissions8.

En 2016, de nombreuses personnalités dénonçaient l’éviction de la numéro 2 de l’Obs, ce qui serait une “reprise en main de la presse à la veille de la présidentielle”9.

Ainsi, certains considèrent que la concentration dans la presse quotidienne et audiovisuelle, les faits de censure et d’autocensure, ainsi que la collusion entre les millieux d’affaires et les médias provoquent des risques de régression démocratique10.

Pour certains, la normalisation économique est passé à une banalisation éditoriale fondée sur la censure et l’autocensure.

C’est ce que certains ont constaté après l’arrivée de Vincent Bolloré prend le pouvoir sur Canal +11 et i-Télé.

De même, le patron du groupe M6 disait refuser que les journalistes de sa chaine critiquent leurs annonceurs dans les reportages12.

Certains journalistes ont en effet montré qu’il était parfois difficile de faire leur métier lorsqu’ils étaient l’objet de menaces.

“Nous avons tous vécu les coups de fils passés à nos patrons de presse pour tenter de bloquer une publication ou une diffusion, les lettres de menaces, les procès, certains d’entre nous ont même été placés sous surveillance.”13

Sous pression de l’audience, certains journalistes concèderaient aux industriels prêts à renflouer leur entreprise.

Au Figaro, le sénateur de droite SergeDassault avait cherché à limiter la médiatisation de ses démêlés avec la justice, mais à faire parler de la signature de ses contrats d’armements. Ainsi, un journaliste avouait qu’ils n’avaient plus le droit de parler en mal des pays dans lesquels Dassault fait du business14.

Certains intellectuels considèrent ainsi que «La télévision et les journaux chinois sont beaucoup plus critiques du système économique et politique de leur pays que nos chaînes le sont du nôtre». 15

«Pour avoir vécu sur tous les continents, je peux affirmer que les «Occidentaux» forment le groupe le plus endoctriné, le moins bien informé et le moins critique de la Terre, à quelques exceptions près, bien sûr, comme l’Arabie saoudite.»16

Il est donc important que les journalistes aient les moyens de leur indépendance, or la profession tend plutôt à la paupérisation17.

Mais pour un média, conserver un rôle de contre-pouvoir et garantir son indépendance sont des objectifs parfois difficiles à atteindre, tant pour la presse, que pour la télévision ou Internet.

La conduite à terme d’enquêtes sur l’action de certaines personnes peut également être mise à mal par les attaques judiciaires dont ces enquêtes ont parfois été la cible. En 2016, Vincent Bolloré portait plainte contre France Télévisions pour un reportage sur le business de l’homme d’affaire18.

Et pour cause, les médias recourent à plusieurs sources de financement : la vente de leurs produits, la publicité et les aides de l’Etat. Si la publicité constitue souvent une importante source de revenus et assure l’indépendance financière d’un média, elle pose cependant la question des sujets que l’on risque d’écarter car ils ne conviendraient pas aux annonceurs.

De plus, les recettes publicitaires n’ont cessé de se réduire et ne permettent plus de compléter le produit des ventes et des abonnements des journaux19.

De plus, l’Etat accordant des contrats publics aux conglomérats propriétaires des médias, il est possible qu’il fasse pression sur ces entreprises en ne leur accordant pas de contrats publics s’ils ne diffusent pas telle ou telle information20.

Ainsi, les aides à la presse doivent être indépendantes mais exister car la production d’information est un bien public21.

Il faudrait créer une “société de média à but non lucratif”: statut de fondation qui permet à chaque donateur d’être actionnaire et donc d’avoir des droits de vote22.

Afin de limiter les effets de la concentration des médias, la loi Bloche prévoit que les journalistes puissent éviter toute pression sur le contenu de leur article ou émission23.

Pour améliorer le statut des médias, un modèle avait été proposé : celui de société de médias « à but non lucratif, sans versement de dividendes ni possibilités pour les actionnaires de récupérer leur apport »24.


1 Histoire politique et économique des médias en France, Ivan Chupin, Nicolas Hubé, Nicolas Kaciaf, Editions La Découverte, 2009.

2 Histoire politique et économique des médias en France, Ivan Chupin, Nicolas Hubé, Nicolas Kaciaf, Editions La Découverte, 2009, p.57.

3 “L’opinion, ça se travaille...”, Les médias & les “guerres justes” : Kosovo, Afghanistan, Irak, Serge Halimi & Dominique Vidal avec Henri Maler, Agone, 2006.

4 “Grandes manœuvres dans les médias”, Le Monde, 29 juillet 2015.

5 Interviwe de Daniel Schneidermann dans Complément d’enquête, “Journalistes : tous vendus ?”, octobre 2015, 65’

6 http://www.huffingtonpost.fr/laurent-mauduit/main-basse-sur-linformation/

7 https://www.mediapart.fr/journal/france/010815/le-fructueux-trafic-des-frequences-audiovisuelles?onglet=full

8 Interview de Daniel Schneidermann dans Complément d’enquête, “Journalistes : tous vendus ?”, octobre 2015, 65’.

9 http://www.liberation.fr/debats/2016/05/25/a-l-obs-un-licenciement-tres-politique_1455023

10 https://www.mediapart.fr/journal/france/020915/main-basse-sur-l-information?onglet=full

11 http://www.tv5monde.com/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/L-invite/Episodes/p-32047-Laurent-Mauduit.htm

12 http://www.dailymotion.com/video/x2so7ad

13 Informer n’est pas un délit, sous la direction de Fabrice Arfi et Paul Moreira, Calmann-Lévy, 2015, p. 8.

14 Informations sous contrôle, Le Monde diplomatique, juillet 2016.

15 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/5bbe2b10-10e5-11e5-bce4-0f8872f43eca/Noam_Chomsky_raconte_lOccident_terroriste

16 Ibid.

17 “Brexit, Trump, primaire : les journalistes à l’heure des comptes”, Le Magazine de la rédaction, 16.12.2016, France culture.

18 http://www.lexpress.fr/actualite/medias/complement-d-enquete-bollore-porte-plainte-contre-france-televisions_1856143.html

19 Loïc Ballarini, « Julia Cagé, Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie », Questions de communication [En ligne], 28 | 2015, mis en ligne le 31 décembre 2015, consulté le 25 janvier 2017. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/10247

20 David Bornstein & Ivan Jablonka, « Démocratiser l’économie. Entretien avec Philippe Aghion », La Vie des idées, 23 mars 2012. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Democratiser-l-economie.html

21 “Sauver les médias, Capitalisme, financement participatif et démocratie - Julia Cagé”, https://www.youtube.com/watch?v=wxBEfbTHV2Q

22 “Sauver les médias, Capitalisme, financement participatif et démocratie - Julia Cagé”, https://www.youtube.com/watch?v=wxBEfbTHV2Q

23 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2016/01/26/une-proposition-de-loi-pour-renforcer-l-independance-des-medias_4854063_3236.html

24 Loïc Ballarini, « Julia Cagé, Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie », Questions de communication [En ligne], 28 | 2015. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/10247