Si la Commission considère le lobbying comme partie intégrante
du système démocratique, ces activités exercées par des mastodontes
de l’économie laissent selon certains craindre une confiscation du
processus démocratique.
Influences, pressions : quels acteurs ?
Le lobbying est une activité totalement légale à Bruxelles. La
Commission rappelait cependant en 2006 (à travers le Livre vert de
l’initiative européenne en matière de transparence) qu’il était
nécessaire de veiller aux lobbyistes, à la qualité de leurs
informations ou encore aux éventuels conflits d’intérêts qu'ils
peuvent introduire. Pour cela, un système d’enregistrement
volontaire des lobbies avait alors été proposé.
Le lobbyisme
Il s’agit de groupes d’intérêt privé ou public créés dans le but
d’influencer l’élaboration et la mise en œuvre de décisions
politiques. 70 % des lobbystes défendent le secteur privé, leur but
étant d’ouvrir davantage le marché et de limiter les
règlementations susceptibles de contraindre les entreprises dans
leur activité.
Parmi ces groupes, on retrouve les grandes entreprises
européennes et les organisations regroupant ces entreprises (ex :
Insurance Europe qui représente les assurances européennes).
Cela n’a pas limité la prolifération du lobbying à Bruxelles :
15 000 lobbystes y sont installés pour tenter d’influencer la
politique européenne. Placées au plus près des institutions
européennes, des entreprises comme Google, Facebook ou IBM tentent
de peser sur les discussions européennes.
Parmi ceux qui influencent l’Union européenne, l’European
Services Forum (ESF) est un cabinet qui défend les intérêts des
entreprises comme Orange ou Veolia.
A cela s’ajoutent les clubs de réflexion (think tanks), comme
les Amis de l’Europe. Bien que ces clubs ne soient pas des lobbies,
ils contribuent à ce réseau d’influence. Les entreprises
entretiennent en effet des liens avec eux pour influencer plus
directement les politiques, certains de ces clubs étant financés
par de grands groupes (industrie pétrolière, sociétés du Net,
etc.).
Pour brouiller les pistes, certaines ONG ont également été
créées dans l’intérêt de grandes entreprises, et financées par
elles.
Les entreprises dépensent ainsi des sommes importantes pour
faire entendre leur voix par l’intermédiaire de ces lobbies,
désormais partie intégrante du processus démocratique à Bruxelles.
Il s’agit en effet d’une pratique quotidienne qui repose sur des
jeux de réseaux entre individus. Les lobbies sont ainsi invités
dans des groupes d’experts réunis par la Commission européenne pour
réfléchir à l'instauration de nouvelles réglementations ; par ce
biais, ils proposent notamment des textes (rédaction d’amendements)
aux parlementaires européens pour les inciter à aller dans une
direction plutôt qu’une autre.
D’où vient le lobbying européen ?
Le lobbying de Bruxelles n’est pas nouveau. Dès les années 1980,
certains réseaux d’influence agissent déjà en toile de fond. Ainsi,
derrière le projet de réseaux transeuropéen, se cachait l’influence
de la Table ronde européenne (ERT). De la même façon, l’idée d'une
Union européenne en tant que grand marché est née d'une décision
politique largement influencée par l'ERT.
La Table ronde européenne (ERT)
La Table ronde des industriels européens (ERT en anglais)
regroupe une quarantaine de leaders du marché économique. Elle a
permis à des patrons de grandes entreprises européennes de rédiger
des rapports déterminants sur les changements susceptibles d'être
apportés à l’Union. Par ce biais, elle aurait influencé nombre de
décisions européennes.
Ce groupement existe depuis les années 1980, époque à laquelle
l’Europe n’est pas encore considérée comme une puissance
économique. C'est à cette époque que le PDG de Volvo propose à
plusieurs patrons de multinationales de s’associer pour améliorer
la situation économique européenne, freiné par l'insuffisance de
liens entre dirigeants politiques et économiques. Et ce sera au
travers de la Table ronde européenne que ces liens entre la
Commission et les dirigeants d'entreprise seront finalement
renforcés.
La Table ronde européenne se réunissait avant les sommets
européens, dans différents Etats membres. Le ministre des affaires
étrangères du pays hôte y était généralement invité à prendre la
parole, ce qui pouvait permettre de faire passer des messages à
leurs membres de gouvernement, voire à leur population.
Progressivement, les volontés politiques ont ainsi évolué et est
apparue l’idée d’un marché unique, puis d’une union monétaire. A
ces projets s’ajoutaient la nécessité de déréglementer, et
d’adopter des mesures d’austérité.
Influences ou pressions ?
Certains ont dénoncé les pressions exercées par les lobbies pour
la mise en œuvre du marché unique. Mais au-delà de ces allégations,
il apparaît que certaines décisions de la Commission aient été
influencées par de grands groupes industriels et financiers.
Ainsi, en 1985, le président de l’ERT, Wisse Dekker, présentait
un projet « Europe 1990 » visant à abolir les frontières fiscales
et commerciale ainsi qu’à harmoniser les réglementations dans le
cadre d’un marché unique. Quelques jours plus tard, Jacques Delors
prononçait un discours sur le marché unique dans le droit fil du
projet. Le Livre Blanc de la Commission au Conseil de l’Europe
reprendra lui aussi les grandes lignes du plan de Dekker ; ce Livre
blanc a été considéré comme la base de l’Acte unique européen,
fondement juridique du Marché unique.
La Table ronde européenne diffusait de cette façon un message
propre à tous les milieux d’affaires, message largement diffusé aux
instances dirigeantes de l’Europe grâce aux liens entretenus entre
cette organisation et les membres de la Commission européenne. Ces
rapprochements sont largement facilités par le pantouflage :
beaucoup de lobbystes ont débuté leur carrière dans le secteur
public, à l’instar d’Erika Mann, ancienne membre du Parlement
européen, qui travaille aujourd’hui pour Facebook.
Le lobbying aujourd’hui
Les lobbies actuels militent toujours pour une libéralisation
renforcée du marché européen. Déjà très ouvert, le marché reste
contraint par des règles déterminées par la politique et que les
lobbystes tentent d’écarter. Plusieurs initiatives ont ainsi plus
récemment vu le jour pour influencer les décisions politiques.
Après la crise financière de 2008, un comité d’experts
indépendants a été formé pour réfléchir aux moyens de supervision
bancaire. Certains de ces experts, nommés par José Manuel Baroso,
entretenaient pourtant des liens avec des grands groupes comme
Lehman Brother ou Goldman Sachs, qui militent pour la dérégulation.
Ce groupement a eu pour seule conséquence le renflouement des
banques par des fonds publics. Ces mesures politiques ont eu
d’importantes conséquences sur les salaires dans les pays du sud de
l’Europe, et notamment en Grèce.
De la même façon, l’initiative d’accord multilatéral sur
l’investissement, bien qu’abandonnée à la fin des années 1990, a
pris une forme nouvelle quelques années plus tard, notamment dans
le cadre du Traité transatlantique toujours en discussion.
L’accord multilatéral sur l’investissement
L’accord multilatéral sur l’investissement avait été proposé en
1995 par des organisations professionnelles et grandes entreprises
pour limiter les régulations. L’accord accordait aux grands groupes
des droits leur permettant d’échapper à certaines règlementations
et d’attaquer en justice un gouvernement. Le texte aurait notamment
pu obliger un gouvernement, souhaitant renforcer la protection de
l’environnement ou taxer le capital, à dédommager les entreprises
étrangères. Si cette proposition ne donnera pas de suite concrète,
elle aura pour effet d'inciter à la création de l’European Services
Forum en 1999, destiné à mieux faire converger les intérêts
privés.
De leur côté, les géants du Net tels que Google ou IBM militent
aujourd’hui contre le renforcement de la protection des données
personnelles sur Internet. Ils agissent ainsi au travers
d’associations comme l’European Privacy Association en luttant
notamment contre l’idée d’un « droit à l‘oubli » des données
collectées. Le traitement des informations personnelles constitue
en effet l’un des piliers de leur empire.
L’importance du lobbying est dénoncée par différents mouvements,
et notamment le Corporate Europe Observatory, qui a organisé un «
Lobby tour » dans la capitale européenne pour lutter contre
l’influence des lobbies dans la vie politique européenne.