Mise à jour : March 2015

Après Charlie

Après les attentats menés contre Charlie Hebdo et dans l’Hyper Casher à Paris début 2015, la France a renforcé son engagement dans la lutte contre le terrorisme.

La lutte contre le terrorisme sur le territoire français

Depuis des décennies, la France a été considérée comme une cible du terrorisme par les autorités. Le pays a ainsi renforcé son dispositif de prévention et de lutte contre le terrorisme à chaque nouvelles vague d’attentats.

De nombreuses lois antiterroristes, parfois annoncées comme provisoires, ont été définitivement entérinées. La première loi ayant spécifiquement pour objet la lutte contre le terrorisme intervient en 1986. Les années qui suivent verront cette mesure se renforcer : prescriptions des délits accrue en matière de terrorisme, perquisitions et saisies autorisées de nuit, possibilité permanente de fouille des véhicules, garde à vue étendue, etc.

En 2013, la loi de programmation, par son article 20, renforçait l'accès des services de renseignement intérieur (accès étendu aux agents du ministère de l'économie) aux communications électroniques émises sur les réseaux d'opérateurs. L'année suivante, l'arsenal juridique était à nouveau renforcé : l'apologie du terrorisme était réprimée, les sites Internet susceptibles d'être bloqués sur décision administrative, les actes préparatoires pénalisés, etc. Ainsi, par la loi du 14 novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme, l'apologie du terrorisme entrait ainsi dans le code pénal, ouvrant la voie à son application rapide (comparution immédiate).

Depuis la loi Cazeneuve, l’apologie du terrorisme est punie de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; l’apologie du terrorisme sur Internet est davantage sanctionné (7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende encourus).

De plus, les sites incitant ou faisant l’apologie d’actes terroristes peuvent se voir fermés par décision administrative. Ainsi, les premiers blocages administratifs ont permis de fermer plusieurs sites internet. Cependant, l’idée d’un blocage des sites Internet a régulièrement été critiquée, certains jugeant cette mesure inefficace voire contre-productive.

Fin janvier 2015, le gouvernement annonçait son intention de débloquer environ 450 millions d’euros pour la lutte contre le terrorisme. Parmi les mesures mises en place dans ce cadre, le renforcement des effectifs policiers et militaires ainsi que l’octroi de moyens supplémentaires aux services de renseignement. A cela s’ajoute la création d’un fichier des personnes condamnées pour terrorisme et de quartiers spéciaux dans les prisons destinés à isoler les islamistes radicaux.

Le projet de loi sur le renseignement du 19 mars 2015 devait ainsi légaliser certaines pratiques déjà utilisées par les services de renseignement, à l'instar des Imsi-catchers, outils destinés à capter les communications dans un périmètre donné, ou des sonorisations de véhicules.

Au-delà de ces dispositifs, l’État français cherche à lutter contre la radicalisation des jeunes. Mesure phare du dispositif de lutte antiterroriste, le site stop-djihadisme.fr est ainsi destiné à éviter tout nouveau départ de candidats au djihad. Et pour renforcer la lutte contre les départs, la loi de programmation militaire prévoyait une interdiction administrative de sortie du territoire et une interdiction d’entrée pour les ressortissants de l’Union européenne.

L'armée française a mis en place une cellule de contre-propagande sur Internet, abritée par le Centre interarmées d'actions dans l'environnement (CIAE). Parmi les outils mobilisables, la riposte des campagnes djihadistes par la diffusion d'images et de messages, surveillance à grande échelle, implication dans les réseaux sociaux, recours à l'aide de psychologues, etc.

La lutte contre le terrorisme à l’étranger

La France est intervenue à plusieurs reprises à l’étranger pour lutter contre le terrorisme, notamment, récemment, au Mali et en Centrafrique. La lutte s’est accentuée depuis le montée en puissance de l’Organisation de l’État islamique (Daech), poussant la France à décider de participer à la coalition internationale de lutte contre l’État islamique dans le but de stabiliser leur région d'action (Syrie, Libye ou encore Irak).

Parallèlement, la France s’était lancée dans l’opération “Barkhane” au cours de l’été 2014 pour stabiliser le Sahel, couvrant ainsi toute la région, de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Niger, le Mali et le Burkina Faso.

Quels sont les impacts de la lutte antiterroriste ?

Le renforcement de la lutte contre le terrorisme a soulevé de nombreuses questions, notamment relatives aux risques de restriction des libertés.

Les impacts sur la liberté

L’attentat mené contre Charlie Hebdo a ravivé la question de la liberté d’expression en France, qui a atteint son apogée avec la marche du 11 janvier, marche destinée à soutenir la liberté d’expression pour les uns, marche contre la terreur pour les autres.

Cependant, nombre d’observateurs se sont élevés contre la tentative de récupération du mouvement citoyen par des mouvements politiques ou par les autorités publiques. Certains ont ainsi mis en garde contre l’accroissement des mesures de surveillance et le limitation des libertés individuelles, notamment sur Internet.

“L’année 2014 n’a pas dérogé à cette dérive, tant elle a été placée dès l’aube – avec le vote de la loi de programmation militaire - sous le signe de la surveillance et de l’érosion des libertés, tout particulièrement sur internet, désigné comme un fauteur de trouble, presque complice des pires atrocités. La mise au pilori de cette espace collectif de débat s’est d’ailleurs poursuivie lorsque la représentation nationale a été saisie, dans l’urgence, d’une énième loi antiterroriste. Dans un débat confisqué par la peur, où la réflexion critique a cédé face à un unanimisme répressif, l’arsenal pénal a été encore alourdi et dévoyé au service de la neutralisation préventive tandis que l’administration voyait ses pouvoirs décuplés sur le net comme à l’égard des citoyens, dans un élan de suspicion généralisée.”

Syndicat de la magistrature

Cela, alors que le gouvernement français souhaitait élargir la possibilité des écoutes : conversations émises sur Internet (ex : Skype), géolocalisation, etc. Depuis la loi de programmation militaire de 2013, les services de renseignement peuvent en effet accéder aux donnés des internautes conservées par des fournisseurs d’accès à Internet.De plus,le gouvernement peut désormais demander aux moteurs de recherche de faire disparaitre de leurs résultats les sites incitant au terrorisme ou en faisant l'apologie, ce, par l'intermédiaire de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC).

Ces questions se d’autant plus posées que le délit d’apologie du terrorisme a rapidement constitué la base de nombreuses condamnations. Ainsi, après les attentats, la justice a enchaîné les procédures rapides et les “condamnations aveugles et démesurées” (Syndicat de la magistrature).

Propos postés sur les réseaux sociaux, propos tenus à l’école, propos tenus par des individus ivres, non-respect de la minute de silence... Nombre d’affaires ont donné lieu à des condamnations parfois lourdes.

Cette multiplication des condamnations a été encouragée par la ministre de la Justice, qui demandait aux procureurs une grande “fermeté”. Certains ont alors mis en avant les risques de dérives, les condamnations étant souvent lourdes et les peines risquant de radicaliser davantage les condamnés.

Certaines dérives ont fait l’objet de vives critiques, notamment lorsqu’un enfant de 8 ans a été entendu par la police pour les propos qu’il a tenu (“Je suis avec les terroristes”).

Cela a posé la question de la définition de l’apologie du terrorisme, qui “consiste à présenter ou commenter des actes de terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable” (circulaire du 12 janvier 2015). Pour le Code pénal, c’est “le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes” (art. 421-2-5 du code pénal).

La difficulté de mise en œuvre de telles mesures montre les risques de renoncement aux valeurs démocratique que les mesures prises pour éviter les actes terroristes peuvent entraîner. Par soucis de sécurité, nous risquons de renier certaines libertés (Dominique de Villepin).

"La liberté d’expression, parlons-en ! Il était pratiquement impossible, durant tous les premiers jours de cette affaire, d’exprimer sur ce qui se passait un autre avis que celui qui consiste à s’enchanter de nos libertés, de notre République, à maudire la corruption de notre identité par les jeunes prolétaires musulmans et les filles horriblement voilées, et à se préparer virilement à la guerre contre le terrorisme." (Alain Badiou, "Le rouge et le tricolore", Le Monde, 27.01.2015)

La question de l’anti-islamisme

Après les attentats menés contre Charlie Hebdo, la communauté musulmane de France craignait de voir leurs coreligionnaires subir les effets de ces évènements. Différentes organisations musulmanes avaient ainsi appelé à manifester pour dénoncer les attentats. De la même façon, les pays musulmans ont majoritairement officiellement condamné les attaques.

De leur côté, la plupart des médias et des personnalités politiques ont appelé à éviter tout amalgame. Cependant, pour certains, l’anti-islamisme, plus radical, tend à stigmatiser toute une population (Edgar Morin, “La France frappée au cœur de sa nature laïque et de sa liberté”, Le Monde, 9.01.15). Les terroristes ayant agi au nom de leur propre religion, les musulmans craignent en effet de subir une véritable stigmatisation. Certains observateurs refusent que les musulmans deviennent ainsi les ennemis de la République (Tahar Ben Jelloun, “L'islam victime des tueurs”, Le Monde, 9.01.15).

La question de l’implication des monarchies pétrolières

En 2012, un ex-chef de la DST mettait en cause le Qatar et l’Arabie saoudite dans le financement de l’islamisme radical.

Au fil des mois, ces accusations ne se sont pas taries et de nombreuses polémiques ont régulièrement relancé le débat. Mais si certains considèrent que le financement de l’État islamique est issu des pétromonarchies, d’autres évoquent l’idée d’un autofinancement (extorsion, taxes imposées aux populations locales, etc.).

La question de l’éducation

Les refus d’effectuer la minute de silence dans les écoles et le nombre important d’élèves affirmant leur refus d’”être Charlie” ont été vivement mis en lumière et dénoncés. De plus, certains ont vu dans les attentats commis par des Français une défaillance de l’école de la République.

La ministre de l’éducation nationale avait donc annoncé fin janvier 2015 une série de mesures visant à lutter contre le fondamentalisme religieux : renforcement de l’instruction à domicile, constitution d’une “réserve citoyenne”, création d’un « parcours éducatif citoyen », formation des enseignants aux situations de crise, etc.

Le renforcement des valeurs républicaines posait également la question de rendre le service civique obligatoire.