Politique intérieure
La Turquie est une république parlementaire avec à sa tête un
président, chef de l’État, et un premier ministre, chef du
gouvernement. Elu par le Parlement jusqu’en 2007, le président est
désormais élu au suffrage universel pour un mandat de cinq ans. Le
Parti de la justice et du développement (AKP), parti
islamo-conservateur, joue un rôle crucial dans la vie politique
turque depuis le début des années 2000, bien que le pays soit laïc.
Cependant, ce parti porté par le président Erdogan a fait l’objet
d’une opposition croissante dans les années 2010, certains
dénonçant la corruption mais aussi l’islamisation du pays. Symbole
de cette évolution, Sainte-Sophie d’Istanbul redevenait
formellement une mosquée en 2020 alors qu’elle était un musée
depuis 85 ans.
Mais la vie politique turque a également été secouée par une
tentative de putsch en 2016 qui a conduit à un durcissement du
pouvoir en place. D’importantes purges ont alors été menées,
frappant des dizaines de milliers de personnes à travers le pays,
notamment dans la fonction publique. Et en 2017, une réforme
constitutionnelle venait renforcer le pouvoir en place: transfert
de l’essentiel du pouvoir exécutif au président qui nommera
lui-même les ministres ou encore possibilité d’intervenir
directement dans le domaine judiciaire. L’accroissement du pouvoir
présidentiel s’est accompagné du développement de mesures
répressives, notamment sur Internet. Après avoir censuré l’accès à
Wikipédia, la Turquie a accentué son contrôle des réseaux sociaux
et des internautes étaient poursuivis pour des «retweets» ou des
«likes».
Au-delà de ces questions, la Turquie a également accru sa
traditionnelle lutte contre les Kurdes du Parti des travailleurs au
Kurdistan (PKK) en œuvrant contre l’organisation terroriste Etat
islamique (voir le chapitre “Turquie et Kurdistan”), mais aussi en
s’attaquant au Parti démocratique des peuples (HDP). Pro-kurde, ce
parti est soupçonné d’avoir des liens avec les militants du PKK. Le
président turc a donc exercé une politique de plus en plus ferme à
l’égard des Kurdes depuis la montée en puissance du HDP et son
entrée au Parlement en 2015. Cette pression s’est généralement
accentuée à mesure que des échéances politiques s’approchaient,
révélant l’instrumentalisation de la question kurde.
Mais cela ne devait pas suffir à atténuer le mécontentement des
Turcs, qui croît depuis 2019. En effet, les prix de l’énergie
augmentent et le problème du chômage ainsi que celui de la baisse
du niveau de vie inquiètent la population. Si la politique de
libéralisation économique menée à ses débuts au pouvoir par l’AKP a
eu des effets bénéfiques au départ, elle a ensuite conduit à une
dégradation de la situation économique qui atténue la popularité du
président turc.
La politique économique du président Erdogan, menée depuis des
années par le gouvernement turc, est celle d’un maintien
artificiellement bas des taux d’intérêt pour encourager l’activité
économique, considérant que les taux d’intérêts élevés favorisent
la hausse des prix. Mais cela a eu des effets délétères :
dépréciation de la valeur de la livre turque (dépréciation de 30%
face au dollar en 2020), dilapidation des réserves de devises de la
banque centrale pour soutenir la monnaie nationale, forte
inflation, etc. En réponse à ces difficultés, le président turc
engageait des réformes; il limogeait alors des membres du Comité de
politique monétaire de la Banque centrale défavorables au maintien
de la baisse des taux d’intérêts.
Or le président Erdogan considère souvent ces problèmes comme
conjoncturels. Ainsi, il poursuit sa politique des grands travaux,
bien que critiquée pour sa démesure autant que pour ses
conséquences environnementales et économiques (ex: «Canal
Istanbul»). Par ailleurs, la Turquie subit divers atteintes
extérieures qui fragilisent le président turc. Outre les incendies
géants et les grandes inondations, le pays subit depuis des années
les migrations syriennes (plus de 3,5 millions de réfugiés syriens
sont installés sur son sol), irakiennes et maintenant afghanes.
Cela l’a poussé à construire des murs le long de ses frontières.
Afin d’éviter une nouvelle vague migratoire venue d’Afghanistan,
Ankara faisait construire un mur de béton le long de sa frontière
avec l’Iran en 2021.
Relations extérieures
Carrefour entre l’Orient et l’Occident, la Turquie a longtemps
entretenu des relations apaisées avec ses voisins occidentaux. Elle
avait rejoint l’OTAN en 1952 et l’OCDE quelques années plus tard.
Le pays conservait cependant également des liens étroits avec le
Moyen-Orient, notamment en participant à l’Organisation de la
conférence islamique. Par sa position stratégique, la Turquie
constitue donc un interlocuteur crucial pour nombre de grandes
puissances car lieu de surveillance du Moyen-Orient et des détroits
entre la mer Noire et la Méditerranée. Ces dernières années, la
Turquie du président Erdogan a cependant refusé de demeurer un pont
entre l’Europe et le monde arabe. Le pays préférait se remodeler à
l’image de son passé impérial et ainsi concurrencer ses voisins.
Ankara est donc entré en conflit avec nombre d’entre eux et ainsi
ajouté des rivalités aux anciennes disputes déjà entretenues avec
la Grèce ou encore Chypre. Et en 2021, Recep Tayyip Erdogan
plaidait de nouveau en faveur d’une partition définitive de Chypre
et donc d’une solution à deux États, ce que le Conseil de sécurité
de l’ONU a condamné.
$$ Depuis son invasion par l’armée turque en 1974 en réponse à
un coup d’État de nationalistes chypriotes-grecs qui souhaitaient
la rattacher à la Grèce, l’île est divisée entre la République de
Chypre au sud, qui est membre de l’Union européenne, et la
République turque de Chypre-Nord (RTCN) autoproclamée en 1983 et
seulement reconnue par Ankara. $$
La Turquie entretient également des rapports difficiles avec
l’Arménie, des relations d’autant plus tendues qu’elle a soutenu
l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabagh.
$$ Les Turcs n’ont jamais officiellement reconnu le génocide de
1915 et les relations entre l’Arménie et la Turquie sont
exécrables, notamment depuis la fermeture de leur frontière
terrestre en 1993. Les relations diplomatiques sont donc
inexistantes. $$
Depuis quelques années, la Turquie a aussi réaffirmé son rôle
dans la région en renforçant son influence en Asie centrale et dans
le Caucase, ce qui en fait un acteur incontournable pour la Chine,
la Russie, le Pakistan ou encore l’Iran. De même, l’importance
qu’il a acquis en Syrie ou encore en Afghanistan rendent
indispensable une entente avec les Etats-Unis. La Turquie s’est en
effet impliquée dans la lutte contre l’Etat islamique, visant
toutefois à la fois djihadistes et forces kurdes. Engagé dans les
printemps arabes, Ankara avait ensuite poursuivi son expansion en
intervenant militairement en Syrie, en Irak ou encore en Libye, où
elle demeure engagée aux côtés du gouvernement de Tripoli.
$$ En 2021, la Turquie et la Libye renforçaient leur coopération
économique, notamment dans le domaine des hydrocarbures. Surtout,
les Turcs proposaient d’aider à la reconstruction du pays avec
l’aide des entreprises turques. De plus, la Turquie apparaissait
capable d’assurer un cessez-le-feu durable en Libye. La Turquie
demeure donc proche du gouvernement de Tripoli, avec lequel elle
faisait face en Libye aux forces rassemblées autour du maréchal
Khalifa Haftar (Émirats arabes unis, Égypte, l’Arabie saoudite).
$$
Aussi, si le pays ne mène plus d’offensive contre les Kurdes en
Syrie, il a cependant effectué des manœuvres militaires en mer Egée
en 2020. Ces prospections d’hydrocarbures dans ces zones maritimes
disputées étaient très mal perçues par la Grèce.
$$ Ces tensions s’expliquaient par les richesses contenues dans
cette zone, où des gisements de gaz naturel ont été découverts.
Mais c’est aussi un lieu riche en hydrocarbures qui a conduit les
Turcs à tenter de contrôler cet endroit de la Méditerranée
orientale, y envoyant un navire d’exploration pétrolière («Oruc
Reis») en lisière d’eaux grecques ou encore deux avions de chasse
Rafale et une frégate. $$
En multipliant les offensives, la Turquie a modifié le paysage
de la région et est devenue un véritable acteur du marché de
l’armement, ce qui lui assure désormais une meilleure autonomie en
la matière.
$$ Les drones turcs ont joué un rôle déterminant dans la
victoire de l’Azerbaidjan contre l’Arménie en 2020. $$
Pour justifier ses actions belliqueuses, Ankara disait être
assiégé car encerclé par des crises qu’il n’a pas provoquées. De
plus, le pays considère que les grandes puissances mondiales ou
régionales cherchent à contrôler la région et qu’il ne peut qu’agir
de même pour défendre ses intérêts stratégiques.
$$ La Turquie s’est impliquée en Libye afin de contrer les
manœuvres entre l’Égypte, Israël, la Grèce et Chypre sur le «Forum
du gaz de la Méditerranée orientale»; il s’agit d’une organisation
créée en 2019 chargée de veiller au respect du droit international
dans la gestion des ressources gazières. Les découvertes de gaz
naturel dans cette région ont en effet provoqué des tensions entre
plusieurs pays, qui par ailleurs ont multiplié les partenariats. La
Turquie cherche donc à garder un pied dans cette zone stratégique.
$$
Le pays a bénéficié de l’émergence d’une désoccidentalisation du
monde arabe, qui lui a permis de mettre en œuvre ses ambitions
géopolitiques, tout comme l’ont fait l’Iran et la Russie. Les Turcs
ont ainsi choisi de s’imposer comme défenseurs des sunnites, une
position critiquée par Téhéran, dont la Turquie dénonçait les
velléités hégémoniques sur la région.
$$ Dès 2016, la Turquie affichait en effet son intention de
devenir leader du monde sunnite en nouant de nouvelles alliances
(normalisation des relations avec Israël, adoption d’une posture
plus modérée vis-à-vis du président égyptien Sissi ou encore de la
Russie) et en défendant l’islam politique. Mais en se rapprochant
de la confrérie des Frères musulmans, puis du Qatar, accusé par ses
voisins saoudiens et émiriens de soutenir les islamistes et le
terrorisme, la Turquie a finalement renforcé la fracture dans le
monde arabo-musulman et s’est frontalement opposée à l’Arabie
saoudite, aux Émirats arabes unis et à l’Égypte. $$
En adoptant une politique active et relativement offensive, la
Turquie s’est quelque peu fragilisée. Le pays a connu des revers en
Syrie et accentué son opposition à la Russie. Cela a également
affecté ses relations avec l’Occident. Les relations entre les
Etats-Unis et la Turquie sont en effet devenues difficiles en dépit
d’une traditionnelle entente.
$$ Depuis les années 2010, Washington a dénoncé le jeu ambigu de
la Turquie à l’égard de l’État islamique et l’attitude du pays
vis-à-vis des Kurdes syriens, soutiens des Etats-Unis. Mais les
relations se sont surtout tendues après la tentative de coup d’Etat
en 2016, la Turquie accusant Fethullah Gülen, un imam exilé aux
Etats-Unis. Elles se crispaient de nouveau avec la reconnaissance
du génocide arménien par le président américain en 2021. $$
La Turquie entendait toutefois désormais opérer un relatif
changement de politique étrangère en apaisant ses relations avec la
Russie ou encore en se rapprochant de l’Occident, et notamment des
Etats-Unis et de leurs alliés. Les Turcs restant relativement
pro-européens, le président Recep Tayyip Erdogan aspire en effet à
demeurer proche de l’Union européenne, dont son pays s’était
éloigné.
$$ L’Union européenne a en effet reproché au pays ses penchants
autoritaires, mais aussi le poids croissant de la religion
musulmane dans le pays, sa lutte contre les Kurdes ou encore
l’implication turque dans les conflits au Moyen-Orient. Tout cela
constitue autant d’entraves à l’entrée dans l’UE d’une Turquie qui
s’est engagée dans des négociations d’adhésion en 2005. Malgré ces
dissensions, il existe d’importants échanges économiques entre la
Turquie et l’Union européenne, l’économie turque restant très
intégrée à l’économie européenne. De plus, après avoir conclu
l’accord migratoire de 2016, Ankara se voyait toujours soutenue par
l’Union européenne, qui lui avait déjà accordé 6 milliards d’euros
pour l’aider à accueillir les millions de Syriens sur son sol et à
lutter contre le trafic d’êtres humains. $$
Cela n’empêche pas le président turc d’entrer en conflit
ponctuellement avec ses alliés. De même, il arrive à la Turquie
d’agir à l’encontre des intérêts de ses partenaires (ex: conclusion
d’un partenariat avec l’Ukraine mal perçu par Moscou), sans que
cela ne bouleverse les relations sur le long terme (ex: achat
d’armes russes), la Turquie étant devenue un acteur stratégique
dans de nombreuses régions cruciales. Cela permet à la Turquie
d’agir comme elle l’entend, sa politique étrangère et ses alliés
étant variables selon les circonstances. La Turquie n’hésite pas à
entrer en conflit avec ses propres alliés de l’OTAN, comme elle l’a
fait en 2021 en menaçant d’expulser dix ambassadeurs (notamment
américains, français et allemand) en raison de leur appel à la
libération d’un rival politique (Osman Kavala).
Cette politique ambivalente permet à la Turquie de demeurer dans
l’OTAN et de nouer des relations avec des partenaires très opposés
comme la Chine, l’Union européenne ou la Russie. En effet, bien que
membre de l’OTAN, le pays entend par exemple renforcer sa
coopération militaire avec la Russie, qui constituerait une
«alternative» aux partenaires occidentaux. Le pays souhaitait
également se réconcilier avec les grandes puissances arabes après
des années de tension. Il tente donc de s’ouvrir à l’Arabie
saoudite, aux Emirats ou encore à Israël, mais aussi à l’Egypte.
L’Egypte et la Turquie, qui constituent deux portes du Moyen
Orient, ont des relations tendues depuis l’éviction de Morsi et en
raison des soutiens opposés en Libye. Aussi après des années de
relations inconstantes cela expliquait-il le difficile
rapprochement entre les deux pays.
Ainsi, cette politique d’apaisement avec différents acteurs
internationaux, et notamment avec ses concurrents sunnites anti
islam politique, a conduit la Turquie à atténuer son soutien aux
Frères musulmans. En revanche, Ankara n’a pas fermé son ambassade à
Kaboul et entendait jouer un rôle stratégique en reprenant
l’exploitation de l’aéroport de Kaboul avec le Qatar, où étaient
déjà stationnés 500 soldats turcs dans le cadre de sa mission avec
l’OTAN. Ainsi, après l’arrivée au pouvoir des Taliban, les
relations entre Ankara et l’Afghanistan sont restées bonnes. Enfin,
la Turquie a développé des relations avec des pays africains:
l’Angola pour ses ressources naturelles (ex: phosphate), le Togo et
le Nigeria, avec lequel il s’agissait de créer des alliances
militaires (ex: vente de drones) dans le cadre de la lutte contre
Boko Haram.