Auparavant, la cohésion des différents peuples était assurée par
un mélange de dirigeants issus des différents peuples du pays.
L’exercice des responsabilités publiques revenait toutefois surtout
aux Amharas, mais les Tigréens y avaient aussi leur place, tout
comme les Oromos (qui sont de confessions multiples: chrétienne
orthodoxe, musulmane ou adeptes d’une religion traditionnelle
africaine), en particulier dans l’armée.
Origine du conflit
Au 19e siècle, les Tigréens se trouvaient au cœur de la vie
politique éthiopienne. Ils ont ensuite perdu de leur pouvoir au
cours du siècle suivant avant qu’en 1991, la guérilla du Front de
libération des peuples du Tigré (TPLF) ne prenne le pouvoir à
Addis-Abeba. Cette prise de pouvoir a eu lieu grâce aux
indépendantistes érythréens, qui les ont soutenus et financés.
C’est ainsi que le TPLF a dominé les structures de pouvoir en
Éthiopie durant près de trente ans.
Ainsi est né le «privilège tigréen», le TPLF
ayant alors colonisé toutes les sphères du pouvoir. Contrôlant la
majeure partie de l’économie éthiopienne, il s’est également
accaparé 90 % des postes de la nouvelle armée et s’est octroyé le
contrôle exclusif des services de renseignement. La population
était alors extrêmement encadrée puisque chaque individu lié au
parti était chargé de surveiller les cinq foyers les plus proches
du sien, puis, d’en informer son supérieur.
Mais au milieu des années 2000, puis 2010, la population va
s’élever contre la surveillance généralisée et la corruption à
grande échelle. Cette contestation politique et sociale s’orientera
ensuite vers des revendications ethniques puisqu’en 2016, un
mouvement de contestation est parti de la région des Oromos pour
être rejoint par les Amharas, qui contestent ce qu’ils considèrent
comme une domination sans partage de la minorité Tigréenne. Le
soulèvement de ces manifestants oromos et amharas a conduit le
gouvernement à décréter l’état d’urgence et à mener une répression
sanglante. C’est dans ce contexte qu’arrive au pouvoir le Premier
ministre Abiy Ahmed en 2017, dont on pense qu’il apaisera la
situation. Si cette arrivée permettra en effet à l’Ethiopie et
l’Erythrée de signer un accord de paix en 2018 après vingt ans de
conflit, elle sera aussi au fondement d’une vaste purge et d’une
restructuration de l’armée et des services de renseignement. C’est
le grand déclin du TPLF.
L’Éthiopie de M. Abiy abandonnera
l’interventionnisme étatique pour s’orienter vers le libéralisme
économique, car cela constituait une condition pour négocier la
restructuration de la dette du pays. Des grands projets ont ainsi
été lancés pour attirer les investisseurs étrangers dans le «nouvel
atelier du monde». Le taux de croissance a ainsi cru (10 % par an)
et ce «printemps éthiopien» était salué par Washington ainsi que
par le FMI et la Banque mondiale. Toutefois, l’Éthiopie demeurait
parmi les derniers du classement de l’indice de développement
humain (IDH). En effet, les inégalités y sont criantes et le climat
des affaires est ensuite devenu incertain en raison des purges
politiques et des tensions ethnorégionales.
Face à ces purges, le vice-président de la région du Tigré
dénonce la mise en place d’un «apartheid» car ces actions affectent
toute la communauté tigréenne. Le TPLF accusera ainsi M. Abiy
d’avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne au sein
de la coalition au pouvoir. Or la région autonomiste était
jusqu’alors protégée par l’ethnofédéralisme.
Dans les années 1990, l’Ethiopie, qui était un
État unitaire, a été divisée en États-régions sur la base de
l’ethnie qui y était majoritaire («une ethnie, une région»). Ce
fédéralisme ethnique a servi de base à la Constitution du pays,
entrée en vigueur en 1995.
C’est ainsi qu’une escalade de violence est née entre le pouvoir
éthiopien et la région aux vélléités sécessionnistes du Tigré.
Aussi, l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, un
dirigeant oromo (ethnie la plus importante en Éthiopie alors que
les Tigréens représentent 6% de la population), n’a pas mis fin aux
luttes pour le pouvoir entre élites régionales. En 2019, une
tentative de coup d’État a ainsi eu lieu contre le gouvernement
régional d’Amhara par un mouvement dénonçant la marginalisation des
Amharas. De même, en juin 2020, les Oromos se sont soulevés suite à
l’arrestation de nombreux opposants politiques.
Ces conflits étaient sous-tendus par des visions antagonistes:
d’un côté, les Tigréens développent des revendications
autonomistes, d’un autre, Addis-Abeba revendique un projet
centralisateur du gouvernement fédéral et de ses alliés régionaux
(ex: nationalistes amharas).
Survenue du conflit
En 2020, alors que l’Ethiopie avait interdit toute élection pour
des raisons sanitaires, la région du Tigré avait décidé de
maintenir le scrutin qu’elle avait prévu d’organiser en septembre.
Ce scrutin ayant été jugé illégal par le gouvernement, le Parlement
éthiopien a alors suspendu les autorités provinciales du Tigré, dès
lors qualifiées d’illégales.
C’est dans ce contexte qu’Abiy Ahmed, pourtant Prix Nobel de la
paix en 2019, annonçait début fin 2020 le lancement d’une offensive
des troupes fédérales contre les autorités provinciales du
Tigré.
Le lancement de cette opération militaire
était justifié par des attaques contre des bases militaires, que le
TPLF accusait le gouvernement d’avoir inventées.
L’objectif de l’offensive militaire était de rétablir l’Etat de
droit et l’ordre constitutionnel dans une région que les autorités
fédérales avaient quasiment coupée du monde. Les télécommunications
y avaient été interrompues et les routes bloquées. Mais la
situation n’a pas évolué en faveur d’Abiy Ahmed. Si dans les
premières semaines de la guerre, l’armée fédérale était parvenue à
contrôler une grande partie de la province, son retrait après des
mois de violences a permis au Front de libération du peuple du
Tigré de reprendre en quelques jours le contrôle de la capitale
régionale et d’une grande partie du territoire perdu; il s’est en
outre engagé dans une offensive hors de ce territoire (région
voisine Amhara) en 2021.
Ainsi, l’ancien pouvoir du TPLF, parti qui a pourtant dirigé
l’Éthiopie de 1991 à 2018 et qui est désormais considéré comme un
groupe rebelle, reprenait le pouvoir face au pouvoir fédéral
éthiopien, aidé par l’armée érythréenne, par des groupes
paramilitaires et des forces spéciales régionales (milices d’ethnie
Amhara). Mais ces derniers ont ensuite tenté de reprendre la main
sur le Tigré, alors que les violences se diffusaient dans le
pays.
Conséquences du conflit
La guerre civile dans la partie septentrionale du Tigré a fait
des milliers de morts et contraint nombre d’Ethiopiens à l’exil,
nombreux étant ceux qui ont fui le pays et rejoint le Soudan afin
de fuir les exactions dont ils sont victimes.
Cette violente guerre, menée contre les civils
dans la région autonomiste du Tigré, implique des troupes
érythéennes. L’Ethiopie est en effet soutenue par l’Erythrée,
ancienne province devenue indépendante en 1993. Les deux pays
semblaient trouver un intérêt à maintenir leurs troupes dans cette
région particulière.
Des exactions ont en effet été commises par les ENDF (Ethiopian
National Defense Force) et les soldats érythréens (meurtres,
exécutions, viols de masse, destructions, pillages). A cela se sont
ajoutées de graves menaces de famine qui n’ont pas réellement
alerté la communauté internationale, demeurée relativement passive
lors de cette crise.
Cependant, quelques pays ont réagi face à la
situation: les Etats-Unis et l’Union européenne ont imposé des
sanctions financières à l’Éthiopie et réclamé un accès humanitaire
indépendant à la région ainsi que des enquêtes sur les crimes
commis. A l’inverse, la Russie et la Chine considéraient ce conflit
comme une affaire intérieure.
Le conflit a ainsi profondément rongé un pays qui se libéralise
pourtant politiquement et économiquement, accueillant notamment des
investissements chinois, saoudiens et turcs. Par ailleurs,
l’Ethiopie entretient des liens difficiles avec ses voisins
soudanais et égyptiens en raison de la mise en eau du barrage
Renaissance. Le Soudan et à l’Égypte reprochaient à leur voisin de
procéder unilatéralement au remplissage du lac de retenue.