Ethiopie

Composée d’une population de 110 millions d’habitants, l’Ethiopie est une fédération de dix États régionaux et de deux villes-États bénéficiant d’une large autonomie (droit à la sécession, armée propre). 80 langues et dialectes y sont parlés.

Auparavant, la cohésion des différents peuples était assurée par un mélange de dirigeants issus des différents peuples du pays. L’exercice des responsabilités publiques revenait toutefois surtout aux Amharas, mais les Tigréens y avaient aussi leur place, tout comme les Oromos (qui sont de confessions multiples: chrétienne orthodoxe, musulmane ou adeptes d’une religion traditionnelle africaine), en particulier dans l’armée.

Origine du conflit

Au 19e siècle, les Tigréens se trouvaient au cœur de la vie politique éthiopienne. Ils ont ensuite perdu de leur pouvoir au cours du siècle suivant avant qu’en 1991, la guérilla du Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) ne prenne le pouvoir à Addis-Abeba. Cette prise de pouvoir a eu lieu grâce aux indépendantistes érythréens, qui les ont soutenus et financés. C’est ainsi que le TPLF a dominé les structures de pouvoir en Éthiopie durant près de trente ans.

Ainsi est né le «privilège tigréen», le TPLF ayant alors colonisé toutes les sphères du pouvoir. Contrôlant la majeure partie de l’économie éthiopienne, il s’est également accaparé 90 % des postes de la nouvelle armée et s’est octroyé le contrôle exclusif des services de renseignement. La population était alors extrêmement encadrée puisque chaque individu lié au parti était chargé de surveiller les cinq foyers les plus proches du sien, puis, d’en informer son supérieur.

Mais au milieu des années 2000, puis 2010, la population va s’élever contre la surveillance généralisée et la corruption à grande échelle. Cette contestation politique et sociale s’orientera ensuite vers des revendications ethniques puisqu’en 2016, un mouvement de contestation est parti de la région des Oromos pour être rejoint par les Amharas, qui contestent ce qu’ils considèrent comme une domination sans partage de la minorité Tigréenne. Le soulèvement de ces manifestants oromos et amharas a conduit le gouvernement à décréter l’état d’urgence et à mener une répression sanglante. C’est dans ce contexte qu’arrive au pouvoir le Premier ministre Abiy Ahmed en 2017, dont on pense qu’il apaisera la situation. Si cette arrivée permettra en effet à l’Ethiopie et l’Erythrée de signer un accord de paix en 2018 après vingt ans de conflit, elle sera aussi au fondement d’une vaste purge et d’une restructuration de l’armée et des services de renseignement. C’est le grand déclin du TPLF.

L’Éthiopie de M. Abiy abandonnera l’interventionnisme étatique pour s’orienter vers le libéralisme économique, car cela constituait une condition pour négocier la restructuration de la dette du pays. Des grands projets ont ainsi été lancés pour attirer les investisseurs étrangers dans le «nouvel atelier du monde». Le taux de croissance a ainsi cru (10 % par an) et ce «printemps éthiopien» était salué par Washington ainsi que par le FMI et la Banque mondiale. Toutefois, l’Éthiopie demeurait parmi les derniers du classement de l’indice de développement humain (IDH). En effet, les inégalités y sont criantes et le climat des affaires est ensuite devenu incertain en raison des purges politiques et des tensions ethnorégionales.

Face à ces purges, le vice-président de la région du Tigré dénonce la mise en place d’un «apartheid» car ces actions affectent toute la communauté tigréenne. Le TPLF accusera ainsi M. Abiy d’avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne au sein de la coalition au pouvoir. Or la région autonomiste était jusqu’alors protégée par l’ethnofédéralisme.

Dans les années 1990, l’Ethiopie, qui était un État unitaire, a été divisée en États-régions sur la base de l’ethnie qui y était majoritaire («une ethnie, une région»). Ce fédéralisme ethnique a servi de base à la Constitution du pays, entrée en vigueur en 1995.

C’est ainsi qu’une escalade de violence est née entre le pouvoir éthiopien et la région aux vélléités sécessionnistes du Tigré.

Aussi, l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, un dirigeant oromo (ethnie la plus importante en Éthiopie alors que les Tigréens représentent 6% de la population), n’a pas mis fin aux luttes pour le pouvoir entre élites régionales. En 2019, une tentative de coup d’État a ainsi eu lieu contre le gouvernement régional d’Amhara par un mouvement dénonçant la marginalisation des Amharas. De même, en juin 2020, les Oromos se sont soulevés suite à l’arrestation de nombreux opposants politiques.

Ces conflits étaient sous-tendus par des visions antagonistes: d’un côté, les Tigréens développent des revendications autonomistes, d’un autre, Addis-Abeba revendique un projet centralisateur du gouvernement fédéral et de ses alliés régionaux (ex: nationalistes amharas).

Survenue du conflit

En 2020, alors que l’Ethiopie avait interdit toute élection pour des raisons sanitaires, la région du Tigré avait décidé de maintenir le scrutin qu’elle avait prévu d’organiser en septembre. Ce scrutin ayant été jugé illégal par le gouvernement, le Parlement éthiopien a alors suspendu les autorités provinciales du Tigré, dès lors qualifiées d’illégales.

C’est dans ce contexte qu’Abiy Ahmed, pourtant Prix Nobel de la paix en 2019, annonçait début fin 2020 le lancement d’une offensive des troupes fédérales contre les autorités provinciales du Tigré.

Le lancement de cette opération militaire était justifié par des attaques contre des bases militaires, que le TPLF accusait le gouvernement d’avoir inventées.

L’objectif de l’offensive militaire était de rétablir l’Etat de droit et l’ordre constitutionnel dans une région que les autorités fédérales avaient quasiment coupée du monde. Les télécommunications y avaient été interrompues et les routes bloquées. Mais la situation n’a pas évolué en faveur d’Abiy Ahmed. Si dans les premières semaines de la guerre, l’armée fédérale était parvenue à contrôler une grande partie de la province, son retrait après des mois de violences a permis au Front de libération du peuple du Tigré de reprendre en quelques jours le contrôle de la capitale régionale et d’une grande partie du territoire perdu; il s’est en outre engagé dans une offensive hors de ce territoire (région voisine Amhara) en 2021.

Ainsi, l’ancien pouvoir du TPLF, parti qui a pourtant dirigé l’Éthiopie de 1991 à 2018 et qui est désormais considéré comme un groupe rebelle, reprenait le pouvoir face au pouvoir fédéral éthiopien, aidé par l’armée érythréenne, par des groupes paramilitaires et des forces spéciales régionales (milices d’ethnie Amhara). Mais ces derniers ont ensuite tenté de reprendre la main sur le Tigré, alors que les violences se diffusaient dans le pays.

Conséquences du conflit

La guerre civile dans la partie septentrionale du Tigré a fait des milliers de morts et contraint nombre d’Ethiopiens à l’exil, nombreux étant ceux qui ont fui le pays et rejoint le Soudan afin de fuir les exactions dont ils sont victimes.

Cette violente guerre, menée contre les civils dans la région autonomiste du Tigré, implique des troupes érythéennes. L’Ethiopie est en effet soutenue par l’Erythrée, ancienne province devenue indépendante en 1993. Les deux pays semblaient trouver un intérêt à maintenir leurs troupes dans cette région particulière.

Des exactions ont en effet été commises par les ENDF (Ethiopian National Defense Force) et les soldats érythréens (meurtres, exécutions, viols de masse, destructions, pillages). A cela se sont ajoutées de graves menaces de famine qui n’ont pas réellement alerté la communauté internationale, demeurée relativement passive lors de cette crise.

Cependant, quelques pays ont réagi face à la situation: les Etats-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions financières à l’Éthiopie et réclamé un accès humanitaire indépendant à la région ainsi que des enquêtes sur les crimes commis. A l’inverse, la Russie et la Chine considéraient ce conflit comme une affaire intérieure.

Le conflit a ainsi profondément rongé un pays qui se libéralise pourtant politiquement et économiquement, accueillant notamment des investissements chinois, saoudiens et turcs. Par ailleurs, l’Ethiopie entretient des liens difficiles avec ses voisins soudanais et égyptiens en raison de la mise en eau du barrage Renaissance. Le Soudan et à l’Égypte reprochaient à leur voisin de procéder unilatéralement au remplissage du lac de retenue.