Robert Merton va donc étudier la façon dont les individus vont
adopter un comportement déviant. Pour cela, il va d'abord
considérer que les valeurs et normes sociales définies par la
civilisation sont variablement intégrées selon les individus. Ces
normes vont donner des buts collectivement partagés qui orientent
les comportements déterminent les moyens pour y parvenir. Ainsi,
s'il y a un déséquilibre entre les buts et les moyens, la société
deviendra instable, allant jusqu'à l'anomie.
Le comportement conformiste est par exemple celui qui respecte
les valeurs reconnues par la société et utilise des moyens jugés
légitimes pour y parvenir. A l'inverse, les comportements d'évasion
ou de retrait reposent sur un refus des valeurs communes qui rend
les individus étrangers à la société; d'autres vont aller jusqu'à
proposer d'autres valeurs, d'autres moyens (les
contestataires).
Entre les deux, il existe des degrés variables: l'innovateur,
qui utilise des moyens proscrits pour atteindre un objectif
socialement valorisé; le ritualiste, qui respecte à la lettre les
règles au détriment des buts.
Par exemple, la société américaine, à travers
la famille, le travail ou encore les médias, met en valeur
l'argent, ce qui conduit beaucoup d'individus à faire du gain
pécunier un but en soi. Ainsi, celui qui gagne peu d'argent est
jugé en échec, manquant de volonté et d'ambition; il se sentira
frustré.
C'est ce qui se passe lorsque les normes sont floues et
instables: chacun peut alors croire qu'il va réussir à obtenir un
statut supérieur. Les individus peuvent alors aspirer à des
ambitions impossibles à réaliser, ce qui induit des frustrations.
En revanche, lorsque les normes sont clairement définies et
stables, les individus intériorisent les limitations: ainsi, leurs
ambitions sont limitées par ces normes sans que cela soit perçu
comme une frustration.
C'est ce que Merton appelle la frustration relative. Dans un
système où les inégalités sont fortes et où les normes sont
claires, personne ne pouvant aspirer à s'élever socialement,
personne ne sera frustré. En réduisant les inégalités sociales, les
normes deviennent floues et tout le monde peut espérer, ce qui
accroît le niveau global de frustration.
Les individus peuvent en effet se comparer à des personnes dont
ils souhaitent atteindre le même niveau social. Ils vont intégrer
les normes et valeur de ce groupe de référence. Mais s'ils ne
parviennent pas à l'intégrer, alors la frustration sera forte. On
peut alors glisser vers l'anomie lorsque la société propose des
objectifs qui pour certains ne sont atteignables que par des moyens
illicites. Cela génère donc des comportements déviants qui prennent
la figure de l'innovateur, du ritualiste ou encore du
conformiste.