La lutte contre le terrorisme sur le territoire français
Depuis des décennies, la France a été considérée comme une cible
du terrorisme par les autorités. Le pays a ainsi renforcé son
dispositif de prévention et de lutte contre le terrorisme à chaque
nouvelles vague d’attentats.
De nombreuses lois antiterroristes, parfois annoncées comme
provisoires, ont été définitivement entérinées. La première loi
ayant spécifiquement pour objet la lutte contre le terrorisme
intervient en 1986. Les années qui suivent verront cette mesure se
renforcer : prescriptions des délits accrue en matière de
terrorisme, perquisitions et saisies autorisées de nuit,
possibilité permanente de fouille des véhicules, garde à vue
étendue, etc.
En 2013, la loi de programmation, par son article 20, renforçait
l'accès des services de renseignement intérieur (accès étendu aux
agents du ministère de l'économie) aux communications électroniques
émises sur les réseaux d'opérateurs. L'année suivante, l'arsenal
juridique était à nouveau renforcé : l'apologie du terrorisme était
réprimée, les sites Internet susceptibles d'être bloqués sur
décision administrative, les actes préparatoires pénalisés, etc.
Ainsi, par la loi du 14 novembre 2014 sur la lutte contre le
terrorisme, l'apologie du terrorisme entrait ainsi dans le code
pénal, ouvrant la voie à son application rapide (comparution
immédiate).
Depuis la loi Cazeneuve, l’apologie du terrorisme est punie de 5
ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; l’apologie du
terrorisme sur Internet est davantage sanctionné (7 ans
d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende encourus).
De plus, les sites incitant ou faisant l’apologie d’actes
terroristes peuvent se voir fermés par décision administrative.
Ainsi, les premiers blocages administratifs ont permis de fermer
plusieurs sites internet. Cependant, l’idée d’un blocage des sites
Internet a régulièrement été critiquée, certains jugeant cette
mesure inefficace voire contre-productive.
Fin janvier 2015, le gouvernement annonçait son intention de
débloquer environ 450 millions d’euros pour la lutte contre le
terrorisme. Parmi les mesures mises en place dans ce cadre, le
renforcement des effectifs policiers et militaires ainsi que
l’octroi de moyens supplémentaires aux services de renseignement. A
cela s’ajoute la création d’un fichier des personnes condamnées
pour terrorisme et de quartiers spéciaux dans les prisons destinés
à isoler les islamistes radicaux.
Le projet de loi sur le renseignement du 19 mars 2015 devait
ainsi légaliser certaines pratiques déjà utilisées par les services
de renseignement, à l'instar des Imsi-catchers, outils destinés à
capter les communications dans un périmètre donné, ou des
sonorisations de véhicules.
Au-delà de ces dispositifs, l’État français cherche à lutter
contre la radicalisation des jeunes. Mesure phare du dispositif de
lutte antiterroriste, le site stop-djihadisme.fr est ainsi destiné
à éviter tout nouveau départ de candidats au djihad. Et pour
renforcer la lutte contre les départs, la loi de programmation
militaire prévoyait une interdiction administrative de sortie du
territoire et une interdiction d’entrée pour les ressortissants de
l’Union européenne.
L'armée française a mis en place une cellule de
contre-propagande sur Internet, abritée par le Centre interarmées
d'actions dans l'environnement (CIAE). Parmi les outils
mobilisables, la riposte des campagnes djihadistes par la diffusion
d'images et de messages, surveillance à grande échelle, implication
dans les réseaux sociaux, recours à l'aide de psychologues,
etc.
La lutte contre le terrorisme à l’étranger
La France est intervenue à plusieurs reprises à l’étranger pour
lutter contre le terrorisme, notamment, récemment, au Mali et en
Centrafrique. La lutte s’est accentuée depuis le montée en
puissance de l’Organisation de l’État islamique (Daech), poussant
la France à décider de participer à la coalition internationale de
lutte contre l’État islamique dans le but de stabiliser leur région
d'action (Syrie, Libye ou encore Irak).
Parallèlement, la France s’était lancée dans l’opération
“Barkhane” au cours de l’été 2014 pour stabiliser le Sahel,
couvrant ainsi toute la région, de la Mauritanie au Tchad, en
passant par le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
Quels sont les impacts de la lutte antiterroriste ?
Le renforcement de la lutte contre le terrorisme a soulevé de
nombreuses questions, notamment relatives aux risques de
restriction des libertés.
Les impacts sur la liberté
L’attentat mené contre Charlie Hebdo a ravivé la question de la
liberté d’expression en France, qui a atteint son apogée avec la
marche du 11 janvier, marche destinée à soutenir la liberté
d’expression pour les uns, marche contre la terreur pour les
autres.
Cependant, nombre d’observateurs se sont élevés contre la
tentative de récupération du mouvement citoyen par des mouvements
politiques ou par les autorités publiques. Certains ont ainsi mis
en garde contre l’accroissement des mesures de surveillance et le
limitation des libertés individuelles, notamment sur Internet.
“L’année 2014 n’a pas dérogé à cette dérive, tant elle a été
placée dès l’aube – avec le vote de la loi de programmation
militaire - sous le signe de la surveillance et de l’érosion des
libertés, tout particulièrement sur internet, désigné comme un
fauteur de trouble, presque complice des pires atrocités. La mise
au pilori de cette espace collectif de débat s’est d’ailleurs
poursuivie lorsque la représentation nationale a été saisie, dans
l’urgence, d’une énième loi antiterroriste. Dans un débat confisqué
par la peur, où la réflexion critique a cédé face à un unanimisme
répressif, l’arsenal pénal a été encore alourdi et dévoyé au
service de la neutralisation préventive tandis que l’administration
voyait ses pouvoirs décuplés sur le net comme à l’égard des
citoyens, dans un élan de suspicion généralisée.”
Syndicat de la magistrature
Cela, alors que le gouvernement français souhaitait élargir la
possibilité des écoutes : conversations émises sur Internet (ex :
Skype), géolocalisation, etc. Depuis la loi de programmation
militaire de 2013, les services de renseignement peuvent en effet
accéder aux donnés des internautes conservées par des fournisseurs
d’accès à Internet.De plus,le gouvernement peut désormais demander
aux moteurs de recherche de faire disparaitre de leurs résultats
les sites incitant au terrorisme ou en faisant l'apologie, ce, par
l'intermédiaire de l’Office central de lutte contre la criminalité
liée aux technologies de l'information et de la communication
(OCLCTIC).
Ces questions se d’autant plus posées que le délit d’apologie du
terrorisme a rapidement constitué la base de nombreuses
condamnations. Ainsi, après les attentats, la justice a enchaîné
les procédures rapides et les “condamnations aveugles et
démesurées” (Syndicat de la magistrature).
Propos postés sur les réseaux sociaux, propos tenus à l’école,
propos tenus par des individus ivres, non-respect de la minute de
silence... Nombre d’affaires ont donné lieu à des condamnations
parfois lourdes.
Cette multiplication des condamnations a été encouragée par la
ministre de la Justice, qui demandait aux procureurs une grande
“fermeté”. Certains ont alors mis en avant les risques de dérives,
les condamnations étant souvent lourdes et les peines risquant de
radicaliser davantage les condamnés.
Certaines dérives ont fait l’objet de vives critiques, notamment
lorsqu’un enfant de 8 ans a été entendu par la police pour les
propos qu’il a tenu (“Je suis avec les terroristes”).
Cela a posé la question de la définition de l’apologie du
terrorisme, qui “consiste à présenter ou commenter des actes de
terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable”
(circulaire du 12 janvier 2015). Pour le Code pénal, c’est “le fait
de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire
publiquement l’apologie de ces actes” (art. 421-2-5 du code
pénal).
La difficulté de mise en œuvre de telles mesures montre les
risques de renoncement aux valeurs démocratique que les mesures
prises pour éviter les actes terroristes peuvent entraîner. Par
soucis de sécurité, nous risquons de renier certaines libertés
(Dominique de Villepin).
"La liberté d’expression, parlons-en ! Il était pratiquement
impossible, durant tous les premiers jours de cette affaire,
d’exprimer sur ce qui se passait un autre avis que celui qui
consiste à s’enchanter de nos libertés, de notre République, à
maudire la corruption de notre identité par les jeunes prolétaires
musulmans et les filles horriblement voilées, et à se préparer
virilement à la guerre contre le terrorisme." (Alain Badiou, "Le
rouge et le tricolore", Le Monde, 27.01.2015)
La question de l’anti-islamisme
Après les attentats menés contre Charlie Hebdo, la communauté
musulmane de France craignait de voir leurs coreligionnaires subir
les effets de ces évènements. Différentes organisations musulmanes
avaient ainsi appelé à manifester pour dénoncer les attentats. De
la même façon, les pays musulmans ont majoritairement
officiellement condamné les attaques.
De leur côté, la plupart des médias et des personnalités
politiques ont appelé à éviter tout amalgame. Cependant, pour
certains, l’anti-islamisme, plus radical, tend à stigmatiser toute
une population (Edgar Morin, “La France frappée au cœur de sa
nature laïque et de sa liberté”, Le Monde, 9.01.15). Les
terroristes ayant agi au nom de leur propre religion, les musulmans
craignent en effet de subir une véritable stigmatisation. Certains
observateurs refusent que les musulmans deviennent ainsi les
ennemis de la République (Tahar Ben Jelloun, “L'islam victime des
tueurs”, Le Monde, 9.01.15).
La question de l’implication des monarchies pétrolières
En 2012, un ex-chef de la DST mettait en cause le Qatar et
l’Arabie saoudite dans le financement de l’islamisme radical.
Au fil des mois, ces accusations ne se sont pas taries et de
nombreuses polémiques ont régulièrement relancé le débat. Mais si
certains considèrent que le financement de l’État islamique est
issu des pétromonarchies, d’autres évoquent l’idée d’un
autofinancement (extorsion, taxes imposées aux populations locales,
etc.).
La question de l’éducation
Les refus d’effectuer la minute de silence dans les écoles et le
nombre important d’élèves affirmant leur refus d’”être Charlie” ont
été vivement mis en lumière et dénoncés. De plus, certains ont vu
dans les attentats commis par des Français une défaillance de
l’école de la République.
La ministre de l’éducation nationale avait donc annoncé fin
janvier 2015 une série de mesures visant à lutter contre le
fondamentalisme religieux : renforcement de l’instruction à
domicile, constitution d’une “réserve citoyenne”, création d’un «
parcours éducatif citoyen », formation des enseignants aux
situations de crise, etc.
Le renforcement des valeurs républicaines posait également la
question de rendre le service civique obligatoire.